page 3 Zacharie Arnal

Publié le par Marie

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La bande supérieure présentait à une de ses extrémités un petit bâtiment annexe formant asile pour les lapins, poules et chèvre au rez-de-chaussée, salle de ruches d'abeilles au 1er étage, et pigeonnier au dessus. L'autre bande de jardin était accessible par un escalier partant de l'angle du cabinet de papa, et aboutissait à un sous sol, où nos parents élevaient chaque année un ou deux « habillés de soie » (Vosti de sedo) qui nous donnaient de larges provisions de jambons, saucisses, saucissons, fricandeaux, etc. pour l'hiver. Et tout ce terrain planté d'arbres fruitiers fournissait en légumes et fruits de précieuses provisions. C'est à l'extrémité de cette bande inferieure qu'ont été successivement creusées los tombes des trois sœurs et de notre cher père.

La Famille

Telle est la demeure, à la fois simple et très agréable, qui formait le foyer ou successivement sont nés les sept enfants que Dieu avait accordés à nos bien aimés parents, qui n'ont pas eu la joie de les conserver tous, comme ce privilège a été accordé à vos chers parents. Si bien que mes plus lointains souvenirs sont ceux des brèches que la mort faisait dans le cercle de famille. La sœur ainée de votre papa, Marie, fut sa première victime, je ne sais pas exactement a quel âge {à 1 an 1/2 je crois). Quelques années plus tard, ce fut le tour des deux sœurs puinées de votre papa, Athenaïs et Noémie, qui succombèrent sous l'épidémie de fièvre typhoïde) dont je crois tous les enfants furent atteints. J'étais dans ma 4ieme ou 5ieme année, et je n'ai conservé qu'un souvenir vague do cette double cérémonie funèbre.

Les trois frères et la sœur restant continuèrent à vivre et à grandir sous l'aile d'un père et d'une mère qui les élevaient

à la fois avec tendresse et fermeté, comme aussi avec une extrême simplicité commandée d'ailleurs par la modicité des ressources d'un ménage pastoral. Mais cette simplicité ne diminuait en rien la joie et les élans des jeux des enfants, dans la maison ou au jardin. Il n'était pas question alors de jouets luxueux accordés aujourd'hui aux enfants, même de condition modeste. Ma sœur Uranie habillait elle-même sa petite poupée, et les garçons devaient se contenter de quelques billes, d'une toupie ou d'une balle qu'ils confectionnaient eux-mêmes avec des débris de laine, recouverts de morceaux de peau qu'ils allaient mendier chez le complaisant cordonnier. Voulaient-ils un cornet ? Ils allaient prendre l'écorce de jeunes pousses de châtaigniers roulée en forme de trompe, à laquelle s'adaptait une embouchure aussi en écorce. Voulaient-ils une bombarde, ils coupaient une branche de sureau dont ils extrayaient la moelle, ce qui formait un canon dont le projectile était un bouchon de liège poussé par une tige terminée par une boule de chanvre. Voulaient-ils une arme de chasse, ils se fabriquaient une fronde avec une bande de peau et deux bouts de ficelle, et à l'imitation de David dont l'histoire leur était racontée, ils cueillaient de beaux cailloux dans le torrent, et s'exerçaient à un tir dont la pratique les rendaient plus ou moins habiles.

Mais père et mère ne les laissaient pas ainsi toujours livres à eux-mêmes. En dehors de l'école du village où ils prenaient les premiers éléments de la culture, lecture, écriture et calcul, ils se réservaient le soin de former l'âme de leurs enfants, selon la recommandation du sage des Proverbes : "Instruis le jeune enfant des l'entrée de sa voie". Aussi, dès qu'il avait un moment de liberté, notre cher père, prenant violon ou violoncelle, nous groupait autour de lui et nous exerçait au chant des cantiques qui se gravaient vite dans la mémoire, et nous formait ainsi au sens musical.

Publié dans Jeanne Arnal

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