mon Père : Emile Arnal, ses voitures, la médecine - 10

Publié le par Marie

Suzon vient de parler de Maman arrivant au temple. En évoquant ce même moment moi je vois l’arrivée de mon Père. Il arrivait toujours un peu en retard ayant fait quelques visites à des malades avant d’aller s’asseoir dans les stalles du conseil presbytéral au premier rang. Il arrivait nullement soucieux d’être en retard et des regards fixés sur lui. Content d’avoir vu ses malades, content d’être fidèle au culte. Il arrivait plein d’assurance, presque avec un sourire aux lèvres au-dessus de sa petite barbe en pointe. C’était l’entrée d’un homme heureux ! Il nous avait jeté un regard affectueux avant de gagner son premier rang. Et sa seule présence faisait que pour moi c’était comme si la musique montait d’un ton, ou que le soleil brille mieux à travers les vitraux du temple.

 Papa répandait autour de lui sa joie ! Et cela sans chercher et sans effort, simplement par sa vitalité, son goût de la vie, sa faculté de savoir jouir de tout, de s’enthousiasmer. Il avait une santé parfaite, et un grand charme, dont il ne se souciait pas, mais qui lui avait sûrement beaucoup servi dans la vie. Avec lui tout s’arrangeait toujours et ce qui avait eu l’air de se présenter mal devenait au contraire merveilleux ! Je me souviens que si au moment de partir pour un voyage en auto il pleuvait, au lieu de gémir Papa disait en riant : « Il faut partir par la pluie, le temps ne peut que s’améliorer » ..!

 Dans notre enfance à Dieulefit notre père était très mêlé à notre vie et souvent là. Car quoiqu’il y eu un autre médecin, le Docteur Bérard, c’est lui qui avait presque la totalité de la clientèle; mais cela ne représentait nullement une vie trépidante. La sécurité sociale n’était pas encore là, et les gens se soignaient certainement infiniment moins. Surtout les paysans qui appelaient le médecin quand les gens étaient à la mort. Je me souviens d’un petit berger qui avait été piqué par une vipère en gardant sur Mialandre, et qu’on apportait moribond deux jours après seulement. Les paysans de mon enfance étaient encore terriblement pauvres et arriérés. Nos allemandes disaient : « Pourquoi est-ce que les fermes chez vous ressemblent à des cavernes ? » L’hygiène la plus élémentaire était inconnue. Papa racontait qu’il avait soigné un jeune garçon atteint d’abcès tuberculeux à la jambe que ses parents installaient dans le fumier pour que cela mûrisse. Comme cataplasme pour une pneumonie on ouvrait un pigeon en deux et on l’appliquait tout sanglant et palpitant encore sur la poitrine. Pour les empoisonnements par champignons (très nombreux) c’était un lapin qu’il fallait occire et en manger le foie tout chaud.

Le médecin semblait loin aussi à ces gens perdus dans les coins de montagne; Comps, Orcinas, Bouvière, Vesc et tant d’autres ! Les autos ont tout rapproché. Papa en a eu dès ma plus petite enfance; mais il n’y en avait alors que deux à Dieulefit ! La première que je revois, presque en rêve, était une sorte seulement de side-car. Puis très vite après une mono-cylindre rouge qui faisait un bruit de tonnerre, quand avec une énergie forcenée, papa avait longuement tourné la manivelle devant le moteur. Après il y a eu une Richard Brasier avec un trèfle à quatre feuilles comme marque sur le capot. Elle roulait bien déjà et faisait du 40 KM à l’heure. Puis une superbe Peugeot grise que Papa avait fait carrosser à Montélimar (ayant acheté le châssis brut ?) et ses initiales étaient peintes en or et noir finement sur les portes. Toutes ces autos étaient ouvertes, avec des capotes qu’il fallait rabattre si il pleuvait; les premières n’avaient même pas de pare-brise; aussi Papa avait une énorme « peau de bique » pour conduire en hiver, des lunettes protégeant la figure, et les dames d’épais voiles protecteurs sur leurs chapeaux. Pourtant à coté de ces souvenirs archaïques je me souviens qu’en 1912 ou 1913 Etienne Peugeot* (cousin germain de Papa par les Dumas) était arrivé à Dieulefit avec une voiture rouge; monstre pour l’époque; qui venait de gagner le grand prix automobile de l’année. Il avait proposé : « Je vais vous faire faire du 100 à l’heure ! » Avec enthousiasme nous étions montés ! Mais il fallait une ligne droite. On était allé du coté de Béconne, où l’auto avait pu se lancer à plein régime. Et riants, échevelés par le vent, nous avons vu le compteur monter à cette vitesse folle ! Il y a 70 ans de cela, et on ne va pas tellement plus vite...

 Je m’égare sur les autos et c’est de Papa que je voulais parler. C’est de lui que nous tenons de savoir jouir de la nature, et des bonheurs intenses et renouvelés qu’elle donne à ceux qui savent regarder, admirer, remercier Dieu de sa beauté !

Il paraît que la vieille grand-maman Dumas disait : « Exprime ta pensée mon enfant, exprime ta pensée ! » ... C’est sans doute d’elle que Papa tenait sa facilité à exprimer. Il racontait merveilleusement, on croyait vivre ce qu’il avait vécu; en plus beau même peut être ! C’était un partage intégral de ses émotions, de ses joies, de ses admirations ! C’était une manière d’éduquer aussi; en voyage il nous disait le nom des rivières, des montagnes, des vieux châteaux ou des restes Romains... et toutes sortes d’explications passionnantes suivaient.

Papa comme ses frères et soeurs était très musicien, et se mettait très souvent au piano, retrouvant sans musique tous les airs à la mode. Après des voyages à Paris où ils allaient au théâtre, c’étaient les délicieux airs de « la Veuve Joyeuse » ou d’opéras, qui nous enchantaient ! Il les chantait, il riait, et nous étions comblés !

 Jeanne Soubeyran

 *  Note de Marie-Annick Bergez-Vigneau : Etienne Edmond PEUGEOT  1874 - 1919
Il est le fils  d'Edmond Alfred Edouard PEUGEOT et de Marie Henriette Louise Caroline DUMAS soeur de Lucie Dumas, la mère D'Emile Arnal le père de Mamie. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Publié dans Jeanne Arnal

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