La Guerre 1914 - 1918 - 3

Publié le par Marie

Nous étions en Ecosse, Suzon et moi quand le Drame a éclaté, chez nos amis Galbraith, connus un an avant grâce à Norman, leur fils venu à Dieulefit. En partant là-bas accompagnées par Papa jusqu’à Londres, nous avions passé le dimanche 28 juin 1914 à Paris. C’était la première fois que nous voyons la Capitale. Temps idéal, ambiance de fête. Papa avait pris un fiacre pour nous conduire à Longchamp où se courrait « le Grand Prix ». Au Restaurant de la cascade des Tsiganes jouaient, nous mangions des glaces, éblouies de tout en petites provinciales. Au retour sur les Champs Elysées le président de la République Raymond Poincaré et sa femme en mousseline gris pâle, dans un attelage à la Deaumont...Tout à coup cela à été les vendeurs de journaux courant et brandissant une édition spéciale : « l’Héritier de l’Empereur d’Autriche venait d’être assassiné avec sa femme à Sarajévo. Papa dit alors : « Cela peut être terrible de conséquences »..! Hélas ! A peine un peu plus d’un mois après c’était la guerre. Nous étions heureuses chez cette famille Galbraith si sympathique... Mais être loin des nôtres quand le monde entier tremblait !... Cette famille comprenait sept fils, dont cinq sont partis et trois sont morts, dont le si cher Norman (ma première flamme ! à 14 ans). Nous sommes restées en Ecosse jusqu’à la Toussaint, après, la Marne. Et Maman est venue nous rechercher à Londres. Pendant la traversée de retour on sondait la mer dans l’inquiétude des sous marins.

A Paris des sacs de terre étaient entassés aux portes des fortifications qui entouraient la ville, et qui n’ont été démolies que vers 1925 ou 1928.

Mon père n’a été mobilisé qu’en 1915, n’ayant pas fait son service militaire à cause de sa myopie. Au printemps 1915 il a été mobilisé comme aide major à l’hôpital militaire de Vienne Isère, et nous avons été l’y rejoindre l’année scolaire finie. Nous y sommes restés 4 ans dont une année sans lui qu’il a passé sur le front de la Somme et en Champagne.

Notre vie alors a changé du tout au tout. Après la vie fastueuse, la vie austère et les restrictions.

Mes parents avaient donné la totalité de la fortune de Maman pour essayer de sauver de la faillite mon Oncle Paul. En vain d’ailleurs. Mais je me souviens avec reconnaissance des paroles de Maman à ce sujet : « Que jamais les questions d’argent ne séparent les frères et soeurs. Les liens de la famille sont un bien infiniment plus précieux que l’argent ».

 1915 - 1919

Vienne. Nous avons eu d’abord une villa sur les hauteurs « la Jacquetière » d’où l’on dominait la courbe du Rhône et la ville si joliment étagée. Période gaie et heureuse; papa ramenait des blessés dîner chez nous. Je me souviens d’un professeur de dessin qui m’a donné mes premières leçons d’aquarelle, d’un agent de change jouant merveilleusement du piano etc. Puis, l’hiver venant, nous sommes allés à Sainte Colombe sur la rive droite du Rhône. Notre maison était neuve, mais sans charme, elle dominait la voie du chemin de fer de si près, que lorsqu’on chargeait la locomotive cela éclairait un instant nos chambres. Pour aller à l’Ecole nous passions sur le pont suspendu qui balançait bien fort dès que le vent soufflait. Antoinette et Henri étaient la gloire de la famille pour les études. Une année Antoinette avait eu 11 ou 12 prix ! On entendait nommer que : Arnal Antoinette ! Papa et maman en étaient très fiers. Pour moi (en science surtout) c’était moins brillant. J’ai passé là mon brevet et brevet supérieur, avec dispense d’âge, mais à la session d’octobre seulement. Maman voulait que nous soyons en avance, nous stimulait toujours à l’effort. Je me souviens qu’elle me disait : « aucun don ne peut servir si il n’est pas accompagné de volonté ». Je sentais bien qu’elle avait raison, mais j’aurais aimé me laisser un peu vivre ! Toute cette période d’adolescence me laisse un souvenir heureux malgré la guerre, le froid affreux, « les chaussures nationales » qui prenaient l’eau; la boue effrayante des rues, « les repas assortis », soupe de lentilles, plats de lentilles etc... (il y avait pourtant aussi souvent d’excellent biftecks) Mais nous avions des amis : les Leenhardt, Les Pillafort, les Benoit, on allait à Lyon. Je me souviens d’un premier concert symphonique avec la 5eme symphonie de Beethowen. Une révélation !! Papa nous a manqué, mais André s’affirmait si gai si plein d’humour, si délicieux garçon !

Au retour du front de Papa; nous avons habité Avenue Beau Séjour, une maison plus jolie près de la pyramide (tombeau de Ponce Pilate) proche de nos chers amis Leenhardt aussi. On était près des quais du Rhône; qui semble avoir joué un vrai rôle dans notre vie à cette époque; ses crues, ses remous tourbillonnants; ses glaçons énormes qui s’écrasaient contre les piles du pont dans le terrible hiver 1916-1917 que Papa a passé au front. Il écrivait que l’encre de son stylo gelait sur sa poitrine; et que quand à nous les brocs d’eau pour la toilette gelaient dans nos chambres, naturellement pas chauffées.

De cette période d’adolescence le souvenir de l’importance des examens reste extrême; non seulement les miens (brevet élémentaire, brevet supérieur) mais les bachots de Suzon et André.  Nous étions vraiment spécialement unis. Ce qui touchait l’un touchait les autres totalement. Je me souviens de l’oral de mon B. S. J’avais complètement séché en math, (à Lyon) tellement que l’examinateur m’avait dit : « Mlle vous commencez à me courir sur le haricot !!! », zéro était éliminatoire. Suzon était venue seule pour me soutenir. Le français par contre avait été aussi brillant que les math avaient été nulles. Mais j’étais effondrée, ne voulait pas aller voir les résultats. Suzon plein d’énergie et me secouant, y était allée pour moi. Tandis que je me réfugiais sur le prie Dieu d’une église obscure. Tout d’un coup je la vois, elle me dépasse sans rien dire, je gémis presque ! Sa myopie s’ajoutant à l’obscurité , elle ne m’avait pas vue. Se retournant elle explose : « Tu es reçu imbécile !! » Joie délirante, chocolat cuit et gâteaux chez « Fourrey-Galant », le tea-room chic de Lyon. Retour triomphale à Vienne. Joie tellement partagée par tous ! Suzon avait passé son premier bachot à Blois où Papa avait été envoyé en convalescence du front. Elle avait été reçue brillamment , tellement que l’on s’émerveillait sur la Loire de la qualité des élèves de l’Académie de Lyon.

La guerre dans toute cette ambiance scolaire planait à l’arrière-plan. Nos amis, à peine ces fameux bachots passés, s’engageait, partaient au front : Guy Leenhard, Jean Pilafort, Jean Benoit, les cousins Nègre, et tant d’autres! Revenaient avec des croix de guerre ou des blessures. Le patriotisme alors était exalté. Je jouais au piano « le Rêve passé », tous les chants patriotiques. On apprenait des morts : le cher Norman qu’on attendait chez nous en permission justement; le fils unique de nos amis Dupoux, André Dumas à peine marié, etc. Puis cela a été l’explosion de joie de l’Armistice du 11 novembre 1918. Les cloches sonnant à toutes volées dans le gris jour d’automne. Tout le monde dans la rue, le Cours Riondet; une foule délirante, riante, délivrée de l’horreur; victorieuse, triomphante. Pour nous jeunes et épargnés, joie sans ombre... Mais pour tant d’autres !!! ...

Je réalise combien ces souvenirs sont trop personnels, et pour varier je veux vous raconter quelques histoires transmises par la tradition de famille.

 

 

Publié dans Jeanne Arnal

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